Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/324

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celui qu’elle doit à ces étrangers, qui sont venus combattre pour elle. Elle a emporté, sans verser une goutte de sang, pour ainsi dire, et sans qu’elle ait eu à porter un seul deuil, le prix le plus, glorieux, le plus digne d’être disputé par les armes. Si la valeur et la prudence sont chose rare parmi les hommes, une vertu plus rare encore, c’est la justice. Les Agésilas, les Lysandre, les Nicias, les Alcibiade, étaient des généraux habiles certainement à conduire des guerres et à remporter des victoires sur terre et sur mer, mais ils n’ont jamais su faire servir leurs succès à une généreuse et noble bienfaisance. En effet, si l’on excepte l’exploit de Marathon, la bataille navale de Salamine, et Platée, et les Thermopyles, et les victoires de Cimon sur l’Eurymédon et auprès de Cypre, tous les autres combats, la Grèce les a livrés contre elle-même pour se mettre sous le joug ; tous les trophées qu’elle a érigés ont été des monuments de ses malheurs et de sa honte ; et c’est aux vices, à la jalouse rivalité de ses généraux qu’elle a dû presque tous ses revers. Et voilà que des étrangers, qui n’avaient plus, semblait-il, avec la Grèce, que de faibles étincelles d’une ancienne parenté presque effacée, de qui on eût dû s’étonner que la Grèce pût jamais recevoir le moindre encouragement, le moindre conseil salutaire, voilà qu’ils ont arraché la Grèce, au prix des plus grands travaux, des plus grands périls, des mains de maîtres durs et de tyrans cruels, et lui ont rendu la liberté ! »

Telles étaient les réflexions des Grecs ; et la conduite de Titus ne démentit pas la proclamation. Il envoya, en même temps, Lentulus en Asie, pour affranchir les Bargyliens[1] ; Titilius en Thrace, pour débarrasser des

  1. Peuple de la Carie qui avait pour capitale la ville de Bargytes, aujourd’hui Barghili.