Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/344

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gènes étaient arrêtes de l’autre côté de l’eau, ils les prièrent de les aider à passer la rivière, et ils leur montrèrent Pyrrhus, en poussant des cris suppliants. Ces gens ne les entendaient point, à cause du bruit et de l’impétuosité du courant ; de sorte qu’ils demeurèrent là quelque temps, les uns à crier, les autres à écouter sans entendre ; jusqu’à ce que l’un des premiers s’avisa d’arracher de l’écorce d’un chêne et d’écrire dessus avec une agrafe quelques mots qui exprimaient la position de l’enfant et le besoin qu’il avait de secours ; ensuite il roula l’écorce autour d’une pierre, pour la rendre pesante et pouvoir la lancer, et il la lanca sur la rive opposée. D’autres disent qu’il darda l’écorce avec un javelot autour duquel il l’avait attachée. Les gens de l’autre bord n’eurent pas plutôt lu ce qu’il avait écrit, que, comprenant l’urgence du cas, ils coupèrent des arbres, les attachèrent ensemble et passèrent l’eau. Or, le hasard voulut que celui d’entre eux qui arriva le premier s’appelât Achille : il se chargea de l’enfant ; ses compagnons firent passer le reste, qui l’un, qui l’autre.

Ainsi sauvés et hors de poursuite, ils se rendirent en Illyrie auprès du roi Glaucias ; et, le trouvant assis chez lui auprès de sa femme[1], ils déposèrent l’enfant à terre, au milieu de l’appartement. Le roi, indécis par crainte de Cassandre, ennemi particulier d’Éacide, demeura longtemps silencieux et pensif. Cependant Pyrrhus se mit de lui-même à se traîner sur les pieds et les mains, et, se prenant au bord de la robe du roi, il se dressa sur les pieds contre les genoux de Glaucias. Le roi sourit d’abord, puis il en eut pitié comme d’un suppliant qui lui adressait ses prières avec des larmes. D’autres

  1. Cette femme était de la race des Éacides, et c’est pour cela, suivant Justin, que les sauveurs de Pyrrhus venaient s’adresser à Glaucias.