Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/370

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homme de bien et homme de guerre, mais qui était très-pauvre. Pyrrhus lui témoigna en particulier beaucoup de bienveillance, et le pria d’accepter de l’or, non point pour l’engager dans quoi que ce fût de déshonorant, mais comme présent, disait-il, d’amitié et d’hospitalité. Sur le refus de Fabricius, le roi n’alla pas plus loin ; mais, le lendemain, voulant lui faire peur, parce qu’il n’avait pas encore vu d’éléphant, il ordonna qu’on plaçât derrière une tapisserie, dans le lieu où ils s’entretiendraient ensemble, le plus grand de ses éléphants. Ce qui fut fait : à un signal donné, la tapisserie se lève, et tout à coup l’animal dressant sa trompe, la tient au-dessus de la tête de Fabricius, et pousse un cri perçant et terrible. Pour lui, il leva tranquillement la tête, et dit en souriant à Pyrrhus : « Ni ton or ne m’a ému hier, ni ta bête aujourd’hui. » Au souper, la conversation roula sur divers sujets, mais principalement sur la Grèce et ses philosophes. Il arriva que Cinéas fit mention d’Épicure, et exposa les opinions de ses disciples sur les dieux, sur la politique, et sur la fin de l’homme : « Ils font consister notre fin dans la volupté, disait-il ; ils évitent la politique comme une chose qui gâte et trouble la jouissance du bonheur ; suivant eux, enfin, la divinité n’est susceptible ni de bonté ni de colère ; elle ne s’occupe point des hommes ; ils la relèguent dans une vie d’oisiveté, d’insouciance et de bien-être. » Fabricius l’interrompit en s’écriant bien haut : « Par Hercule ! puissent Pyrrhus et les Samnites pratiquer ces doctrines tant qu’ils nous feront la guerre ! »

Pyrrhus, rempli d’admiration pour la sagesse et le caractère de cet homme, désira encore plus vivement d’être en paix plutôt qu’en guerre avec la ville. Il le prit donc à part, et il l’engageait à lui procurer d’abord cette paix, et à l’accompagner ensuite pour vivre avec lui, pour être le premier de ses amis et de ses généraux. Fabricius lui