Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/507

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Mais il ne fit pas comme Timothée, fils de Conon. Les ennemis de Timothée attribuaient à la Fortune tous ses succès ; ils avaient fait peindre dans des tableaux Timothée endormi et la Fortune prenant pour lui les villes dans un filet : Timothée se courrouça contre les auteurs de ces tableaux, qui lui ravissaient, disait-il, la gloire de ses exploits. Un jour qu’il revenait d’une expédition, après en avoir rendu compte au peuple : « Athéniens, dit-il, la Fortune n’a aucune part dans ce succès. » Aussi dit-on que la déesse, pour punir cette ambition excessive, fit éprouver son caprice à Timothée : il ne fit depuis rien d’éclatant ; il échoua dans toutes ses entreprises, encourut la haine du peuple, et finit par être banni d’Athènes. Pour Sylla, loin de trouver mauvais qu’on vantât son bonheur et les faveurs dont le comblait la Fortune, il rapportait lui-même à la Fortune tous ses succès pour en augmenter l’éclat et les diviniser en quelque sorte ; soit qu’il le fit par vanité, soit qu’il crût réellement aux conduites de la divinité sur lui. Il a même écrit, dans ses Mémoires, que les actions qu’il avait hasardées contre ses propres combinaisons et ses mesures, et en se décidant d’après les circonstances, lui avaient toujours mieux réussi que celles dont il avait mûrement délibéré l’exécution. « J’étais né, ajoute-t-il, bien mieux pour la Fortune que pour la guerre. » Attribuant par là, ce semble, une part plus grande à son bonheur qu’à sa vertu. Enfin, il voulait être en tout l’ouvrage de la Fortune ; il regardait même comme une des faveurs particulières de cette divinité l’union constante dans laquelle il avait vécu avec Métellus, son égal en dignité, et qui fut son beau-père. Au lieu des difficultés qu’il s’attendait à éprouver de sa part, il trouva en lui le plus doux et le plus modéré collègue. Dans ses Mémoires, il conseille à Lucullus, à qui ils sont dédiés, de ne tenir rien si certain que ce que les dieux lui auraient révélé en songe pen-