Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/541

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passer de là à Blindes, avec une flotte de douze cents navires. Près de Dyrrachium est la ville d’Apollonie, et, près d’Apollonie, un lieu sacré qu’on appelle Nymphéum, où, du milieu d’une vallée que couvrent de belles prairies, il jaillit çà et là des sources de feu qui coulent continuellement. Ce fut là qu’on surprit, dit-on, un satyre endormi, tout semblable à l’image qu’en figurent les sculpteurs et les peintres. Il fut conduit à Sylla, et interrogé par divers interprètes, qui il était ; mais, quoi qu’on pût faire, il ne répondit rien d’articulé ni d’intelligible ; sa voix n’était qu’un cri rude et sauvage, qui tenait du hennissement du cheval et du bêlement du bouc. Sylla, saisi d’horreur, le fit ôter de sa présence.

Lorsqu’il fut prêt à embarquer l’armée, il eut crainte que les soldats, une fois qu’ils auraient un pied en Italie, ne se débandassent pour se retirer chacun dans sa ville ; mais ils lui jurèrent d’eux-mêmes qu’ils resteraient avec lui, et qu’ils ne commettraient volontairement aucune violence dans l’Italie. Ensuite, sachant qu’il avait besoin de beaucoup d’argent, ils contribuèrent, chacun selon ses facultés, et lui offrirent la somme qu’ils avaient ramassée entre eux. Sylla, toutefois, n’accepta point ce don : il les remercia de leur bonne volonté, et, après les avoir encouragés, il traversa la mer, marchant, comme il le dit lui-même, contre quinze chefs d’armée, ses ennemis, et qui avaient sous leurs ordres quatre cent cinquante cohortes. Mais la divinité lui donna les plus manifestes présages de succès. Dans le sacrifice qu’il avait fait en arrivant à Tarente, le foie de la victime présenta aux yeux la forme d’une couronne de laurier, d’où pendaient deux bandelettes. On avait vu d’ailleurs, peu de temps avant qu’il eût passé la mer, en plein jour, près du mont Héphéon, dans la Campanie, deux boucs d’une taille extraordinaire qui se battaient, portant et recevant des coups de la même façon que des hommes qui