Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/75

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des deux fils qu’il avait dans son armée, le plus jeune n’avait point reparu. C’était celui qu’il aimait le plus, celui en qui il voyait, plus qu’en ses autres frères, d’heureuses dispositions pour la vertu ; et, comme il était plein de courage et passionné pour la gloire, quoiqu’il ne fût guère qu’un enfant encore[1] le père ne doutait pas qu’il n’eût été entraîné par son inexpérience jusqu’au fort de la mêlée, et qu’il ne fût perdu sans ressource. Le bruit se répandit bientôt dans tout le camp que Paul Émile était en proie à l’inquiétude et au désespoir : à l’instant les soldats, qui prenaient leur repas du soir, s’élancent dehors et courent avec des torches allumées, les uns à la tente de Paul Émile, les autres devant les retranchements, et se mettent à chercher parmi les cadavres de ceux qui avaient péri aux premiers rangs. Une morne tristesse règne dans le camp, et la plaine retentit des cris de ceux qui appelaient Scipion ; car il s’était fait admirer de tous dès son début dans la carrière, par les qualités guerrières et les vertus politiques dont la nature l’avait excellemment doué entre tous les hommes de ce temps. Il était déjà tard, et l’on n’avait presque plus d’espérance, quand il revint de la poursuite des fuyards avec deux ou trois de ses amis, tout couvert du sang fumant des ennemis : tel qu’un chien généreux qui s’acharne après la bête, il s’était laissé entraîner trop loin par les délices de la victoire. C’est ce Scipion qui détruisit plus tard Carthage et Numance, et qui devint incomparablement le premier des Romains d’alors par sa vertu comme par l’éclat de son pouvoir. La fortune remit donc à une autre occasion de satisfaire l’envie que lui causait le succès de Paul Émile : elle lui laissa goûter, sans mélange, le plaisir de la victoire.

Cependant Persée, dans sa fuite, suivait le chemin de

  1. Scipion avait alors dix-sept ans.