Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/99

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dont il fit à d’autres de si grandes largesses. Je ne dis point qu’il faille blâmer Timoléon d’avoir accepté une belle maison à la ville et un domaine aux champs : il n’y a pas de honte à recevoir le prix de si grands services ; mais refuser est plus glorieux encore ; et c’est le comble de la vertu de savoir se passer de ce qu’on peut acquérir légitimement. Tel corps supporte le froid, tel autre le chaud : les meilleurs tempéraments sont ceux qui peuvent souffrir également le chaud et le froid ; de même l’âme la plus forte et la mieux constituée est celle que n’enorgueillissent ni n’énervent les succès, et que n’abattent point les revers. Paul Émile me semble, à cet égard, plus parfait que Timoléon. Dans le plus grand des malheurs, dans la douleur extrême que lui causa la mort de ses enfants, il ne se montra ni plus faible qu’au sein de ses triomphes, ni moins digne de respect. Timoléon, au contraire, après l’action généreuse où il se porta contre son frère, ne sut pas réprimer, par l’effort de la raison, le trouble de son âme : abattu par le repentir et par le chagrin, il n’eut pas, durant vingt ans, le courage de paraître à la tribune et sur la place publique. Il faut fuir ce qui est honteux, et en rougir ; mais aussi, craindre à tout propos le blâme, c’est la preuve d’un caractère doux et simple à la vérité, mais qui n’a point de grandeur.


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