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NICIAS.

cachait-il pas la satisfaction que lui causait cette division des partis, et il excitait le peuple contre l’un et l’autre.

Nicias et Alcibiade voyaient bien sa malice : aussi entrèrent-ils secrètement en pourparlers, et, réunissant les deux partis dans un but commun, ils s’assurèrent la majorité ; et la sentence, au lieu de tomber sur l’un d’eux, tomba sur Hyperbolus. Le peuple trouva d’abord la chose plaisante, et n’en fit que rire ; mais ensuite il s’indigna que le jugement de l’ostracisme eut été ainsi déshonoré par l’indignité du personnage. On voyait une certaine dignité dans le châtiment, ou plutôt l’ostracisme était un châtiment quand il frappait un Thucydide, un Aristide, ou un citoyen de cette sorte ; mais quand il atteignait un Hyperbolus, c’était pour lui un honneur, un aliment à sa vanité, puisque sa méchanceté lui valait le même traitement qu’aux plus gens de bien leur mérite. Aussi Platon le comique dit-il à son sujet[1] :

Le châtiment était bien digne de ses mœurs ;
Mais lui, mais son infamie, en étaient indignes.
Ce n’est pas pour de telles gens qu’on a inventé l’ostracisme.


Jamais depuis il n’y eut un citoyen condamné par l’ostracisme : Hyperbolus fut le dernier. Le premier avait été Hipparque de Cholarges[2], à cause de sa parenté avec le tyran[3].

Mais la fortune est chose qu’on ne peut soumettre à des raisonnements et à un calcul fixe. Si Nicias avait accepté nettement le danger de l’ostracisme contre Alcibiade, ou bien il aurait eu la majorité et aurait fait bannir son rival, et il serait lui-même demeuré tranquillement dans sa patrie ; ou bien, vaincu dans la lutte, il

  1. Ce passage a déjà été cité dans la Vie d’Alcibiade.
  2. Dème de l’Attique, sur les bords du Céphise
  3. Il s’agit du tyran du même nom.