Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/168

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Pompée affectait dans toute sa conduite : il évitait la foule, il se tenait éloigné du Forum ; vainement on demandait sa protection, il ne l’accordait qu’à peu de personnes, et difficilement, afin de conserver entier son crédit, et de l’employer pour lui-même avec plus d’avantage. Crassus, au contraire, toujours prêt à rendre service, ne se faisait point rare, ou d’un accès difficile : on le voyait toujours en affaires, toujours occupé des intérêts d’autrui. L’humanité de Crassus, et sa facilité à se communiquer à tout le monde, lui donnaient la supériorité sur l’imposante réserve de Pompée. Quant à la dignité du port, à la force persuasive de la parole, et à la grâce attrayante du visage, on dit qu’en cela ils étaient égaux.

Cependant ce vif sentiment d’émulation ne dégénéra jamais chez Crassus en haine ni en malveillance. Il voyait avec déplaisir Pompée et César plus honorés que lui ; mais son ambition de les égaler ne produisit jamais en lui ni aigreur ni malignité. Il est vrai que César, pris en Asie par des pirates qui le retinrent captif, s’écriait : « Ô Crassus ! quelle joie pour toi d’apprendre ma captivité ! » Néanmoins ils ont été bons amis dans la suite ; et un jour que César, sur le point de partir pour l’Espagne en qualité de préteur, n’avait pas d’argent, et que ses créanciers étaient tombés sur lui et avaient saisi ses bagages, Crassus ne l’abandonna pas : il le dégagea de leurs mains, en se faisant sa caution pour une somme de huit cent trente talents[1].

Rome était alors divisée en trois factions, celles de Pompée, de César, de Crassus. Caton avait plus de réputation que de crédit, et il était plus admiré que puissant. Les gens sages et modérés étaient pour Pompée ; les hommes fougueux et légers se laissaient aller aux espérances de César. Crassus tenait le milieu entre ces

  1. Environ cinq millions de notre monnaie.