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CIMON.

Ion raconte qu’étant venu dans sa jeunesse, de Chio à Athènes, il soupa un soir avec Cimon chez Laomédon. Après les libations, Cimon prié de chanter, s’en acquitta avec tant de grâce, que les convives s’extasièrent sur l’agrément de son commerce, comparé surtout à la rusticité de Thémistocle. « Moi, disait ce dernier, je ne sais ni chanter ni jouer de la lyre, mais agrandir et enrichir une ville petite et pauvre. » Après que Cimon eut fini de chanter, la conversation tomba naturellement sur ses actions ; et, comme chacun rappelait ses plus grands exploits, Cimon raconta une ruse dont il s’était servi, et qu’il regardait comme la chose la plus sage dont il se fût jamais avisé. Les alliés avaient fait, dans Sestos et dans Byzance, un grand nombre de prisonniers sur les Barbares ; ils prièrent Cimon de faire le partage. Cimon mit d’un côté les Barbares tout nus, et de l’autre les ornements qu’ils portaient sur leurs personnes. Les alliés se plaignirent de l’inégalité des deux lots. Cimon leur offrit de choisir la part qu’ils voudraient, et dit que les Athéniens se contenteraient de celle qu’ils auraient laissée. Hérophytus le Samien leur conseilla de choisir les dépouilles des Perses plutôt que les Perses eux-mêmes : ils prirent donc les ornements des captifs, et laissèrent leurs personnes aux Athéniens. Cimon passa, dans le moment, pour un ridicule faiseur de partages ; car les alliés emportaient des chaînes, des colliers et des bracelets d’or, des robes magnifiques et des manteaux de pourpre ; au lieu que les Athéniens n’avaient que des corps nus, et mal propres au travail : mais bientôt les parents et les amis des prisonniers arrivèrent de Lydie et de Phrygie avec de grandes sommes d’argent pour les racheter. Cette rançon fournit à Cimon de quoi entretenir sa flotte pen-