Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/227

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tion, les aveuglaient au point qu’ils firent deux charges sans s’apercevoir ; ils se reconnurent à la troisième ; et, mettant l’épée à la main, ils fondirent l’un sur l’autre avec de grands cris. Les deux chevaux se heurtèrent rudement de front, comme deux trirèmes : les deux ennemis lâchent les brides, se saisissent les mains, s’efforcent de s’arracher leurs casques, et de rompre les courroies de leurs cuirasses. Pendant qu’ils sont aux prises l’un avec l’autre, les deux chevaux s’échappent : eux roulent à terre, l’un par-dessus l’autre, se tenant corps à corps, et luttant avec la même énergie. Néoptolème, le premier, essaie de se relever : Eumène lui coupe le jarret, et se relève aussitôt lui-même. Néoptolème, qui ne peut se soutenir sur sa jambe blessée, met un genou en terre, et se défend d’en bas avec beaucoup d’énergie, mais sans porter aucun coup mortel ; blessé enfin à la gorge, il tombe étendu par terre. Eumène, emporté par sa colère et sa haine invétérée, lui arrache ses armes et l’accable d’injures, oubliant que Néoptolème tenait encore son épée : le moribond l’en frappe dans l’aine, au défaut de la cuirasse ; mais le coup, porté par une main défaillante, fit à Eumène plus de peur que de mal.

Eumène, après avoir dépouillé le cadavre, sentit lui-même les douleurs de ses blessures, car il avait les cuisses et les bras percés de coups : cependant il remonte à cheval, et court à l’aile droite, où il croyait que les ennemis tenaient encore ferme. Mais, comme on l’eut informé que Cratère avait été tué, il courut à lui à toute bride, et le trouva respirant encore et n’ayant pas perdu toute connaissance : il mit pied à terre en pleurant, lui tendit la main, maudit mille fois Néoptolème, déplora le sort de l’infortuné, et la nécessité où lui-même avait été réduit de combattre contre son ami et son compagnon, et de lui porter ou d’en recevoir un coup funeste. Cette bataille, qu’Eumène gagna à dix jours de la première,