Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/254

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séparées l’une de l’autre par un espace de mer fort étroit, et éloignées de l’Afrique de dix mille stades[1]. On les appelle les îles Fortunées[2]. Les pluies y sont rares et douces ; il n’y souffle ordinairement que des vents agréables, qui, apportant des rosées bienfaisantes, engraissent la terre, et la rendent propre non-seulement à produire tout ce qu’on veut semer ou planter, mais aussi à donner spontanément des fruits en assez grande suffisance pour nourrir, dans l’abondance et le bonheur, un peuple qui passe sa vie à ne rien faire, exempt de peine et de souci. Le climat de ces îles est pur et sain, grâce à la température des saisons, qui ne sont point sujettes à des variations trop brusques : les vents du nord et de l’est, qui soufflent de notre continent, affaiblis par leur course immense, se dissipent dans une vaste étendue, et ont perdu toute leur force avant d’arriver à ces îles. Les vents de mer, tels que ceux du couchant et du midi, y apportent quelquefois de petites pluies menues ; mais le plus souvent ils n’y versent que des vapeurs rafraîchissantes, qui fécondent insensiblement la terre. De là cette ferme créance, qui a pénétré jusque chez les Barbares mêmes, que ces îles renferment les champs Élysées, et le séjour des âmes heureuses célébré par Homère.

Sertorius, à ce récit, conçut un merveilleux désir d’aller habiter ces îles, et d’y vivre en repos, affranchi de la tyrannie et de toutes guerres. Mais les Ciliciens, qui ne se souciaient ni de paix ni de repos, mais de richesses et de butin, l’abandonnèrent dès qu’ils eurent pénétré son projet, et cinglèrent vers l’Afrique, pour rétablir As-

  1. Environ cinq cents lieues.
  2. On suppose qu’il s’agit ici des Canaries ; mais rien n’est plus faux que ce que dit Plutarque de leur nombre et de la distance où elles sont de la côte d’Afrique. Il y en a sept, et l’une d’elles n’est éloignée de l’Afrique que de quarante lieues.