Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/263

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mener au camp de Sertorius, le menaçant, s’il refusait, de l’abandonner, et d’aller trouver un homme qui saurait bien pourvoir et à son salut, et à celui des autres. Perpenna céda, et se joignit à Sertorius avec cinquante-trois cohortes.

Sertorius, maître de presque toute l’Espagne en deçà de l’Èbre, était à la tête d’une puissante armée : chaque jour il lui arrivait de tous côtés de nouvelles troupes ; mais il s’effrayait de l’indiscipline et de la sauvage ardeur de ces Barbares, qui, impatients de tout délai, criaient sans cesse qu’on les menât à l’ennemi. Il essaya de les calmer par la persuasion ; mais, comme il les voyait prêts à se révolter et à se porter aux dernières violences pour le forcer à attaquer hors de propos, il les abandonna à leur fougue, et les laissa engager le combat, espérant bien qu’après avoir été, non pas entièrement défaits, mais fort maltraités, ils seraient dans la suite plus soumis et plus dociles. Sa conjecture se réalisa : ils furent battus ; Sertorius alla à leur secours, les recueillit dans leur fuite, et les ramena en sûreté au camp. Mais, peu de jours après, pour leur ôter le découragement où cet échec les avait jetés, il assemble toute l’armée, et fait amener deux chevaux, l’un très-vieux et très-faible, l’autre grand et robuste, et dont la queue était remarquable par l’épaisseur et la beauté des crins. Près du cheval faible, il place un homme grand et fort, et près du cheval vigoureux, un petit homme, qui n’avait aucune apparence de force. Au signal donné, l’homme fort saisit à deux mains la queue du cheval faible, et la tire de toutes ses forces, comme pour la briser, pendant que l’homme faible arrachait crin à crin la queue du cheval fort. Le premier, après bien des efforts inutiles, qui prêtaient fort à rire aux spectateurs, abandonne son entreprise ; l’homme faible, au contraire, montre la queue de son cheval qu’il avait, en un moment et sans aucune peine, dégarnie de tous ses