Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les fois qu’il siégeait sur son trône rendant la justice, et que les éphores arrivaient, il se levait. À chaque citoyen qui était promu à la dignité sénatoriale il envoyait une tunique et un bœuf, comme prix de mérite. Par cette conduite il paraissait honorer et relever la dignité de leur magistrature ; et l’on ne s’apercevait pas qu’il augmentait sa puissance, et qu’il ajoutait à la royauté une grandeur solide, fruit de la bienveillance qu’on portait à sa personne.

Dans ses rapports avec les autres citoyens, il fut plus irréprochable ennemi qu’irréprochable ami. Il ne faisait aucun tort injuste à ses ennemis ; mais il secondait ses amis même dans des choses injustes. Il aurait rougi de ne pas honorer une bonne action dans un ennemi ; et il ne pouvait blâmer dans ses amis une action mauvaise. Au contraire, il se plaisait à les aider et à partager leur faute, persuadé que, dans tout ce qu’on fait pour rendre service à un ami, il n’y a rien de honteux. Voyait-il ses ennemis tomber dans quelque malheur ? il était le premier à y compatir ; et, pour peu qu’ils l’en priassent, il s’empressait de leur venir en aide. Ainsi il se conciliait et s’attachait tout le monde. Ce que voyant, et redoutant sa puissance, les éphores le condamnèrent à une amende, sans en donner d’autre motif que celui-ci : c’est que les citoyens sont communs à tous, et qu’il en faisait sa propriété a lui seul. En effet, les physiciens pensent que, si l’on faisait disparaître du monde la discorde et la guerre, l’harmonie parfaite entre tous les êtres arrêterait les corps célestes, et ferait cesser dans la nature la génération et le mouvement[1] ; de même le législateur de Lacédémone a jeté dans le gouvernement, comme un stimulant de vertu, l’ambition et la rivalité : il voulait qu’il y eût toujours entre les gens de bien une certaine mésin-

  1. La doctrine à laquelle fait allusion Plutarque est surtout celle d’Empédocle.