Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il écrivit au Sénat qu’à la vérité Crassus avait défait les gladiateurs en bataille rangée, mais qu’il avait, lui, arraché les racines mêmes de la guerre ; et les Romains, par affection pour Pompée, se plurent à entendre ce langage, et à le répéter. Quant à l’Espagne et à Sertorius, personne n’eût osé dire, même en plaisantant, qu’un autre que Pompée avait eu part à ce qui s’était fait.

Malgré l’estime singulière qu’on avait pour lui, et les hautes espérances qu’on avait conçues de sa personne, les Romains ne laissaient pas de soupçonner avec effroi qu’il ne voulût point licencier son armée, et qu’il ne marchât ouvertement, par les armes, à la suprême puissance, pour succéder à la tyrannie de Sylla. Aussi, dans cette foule nombreuse qui courait sur les chemins pour le recevoir, la crainte n’en amenait-elle pas moins que l’affection ; mais Pompée détruisit ce soupçon, en annonçant qu’il congédierait l’armée après le triomphe. Ses envieux n’eurent plus dès lors à lui reprocher que la préférence qu’il donnait au peuple sur le Sénat, et le projet qu’il avait formé, pour plaire à la multitude, de relever la dignité du tribunal, abattue par Sylla. Ce reproche était fondé ; car il n’y avait rien qui passionnât plus violemment le peuple romain, ni qu’il désirât avec tant d’ardeur que le rétablissement de cette magistrature. Pompée regardait donc comme un grand bonheur pour lui-même l’occasion qui se présentait de la lui rendre, sentant que, s’il était prévenu par un autre, il ne s’offrirait jamais une autre grâce à faire, par laquelle il pût reconnaître l’affection que lui portaient ses concitoyens.

Il obtint à la fois un second triomphe et le consulat ; mais ce n’est pas à ces honneurs qu’il devait l’estime dont il était l’objet ; et un témoignage éclatant de son illustration, c’est que Crassus, le plus riche, le plus éloquent, le plus grand des hommes d’État d’alors, n’osa, malgré les dédains qu’il affectait pour Pompée comme pour tout