Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/361

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familiariser avec des hommes d’une condition obscure. Ceux, en effet, qui sont devenus grands par les armes, et qui ne savent pas se plier à l’égalité populaire, courent risque d’être méprisés quand ils ont repris la toge : ils veulent être les premiers dans la ville, comme ils l’ont été dans les camps ; mais ceux qui n’ont joué à l’armée qu’un rôle secondaire, ne se résignent point à ne pas avoir dans la ville le premier rang : aussi, quand ils tiennent sur la place publique l’homme qui s’est illustré dans les camps et les triomphes, ils le ravalent et le mettent sous les pieds ; que s’il abandonne ses prétentions, et leur cède dans la ville l’honneur et l’autorité, alors ils ne lui envient pas sa gloire militaire. C’est ce que mirent dans tout son jour les événements mêmes peu de temps après.

La puissance des pirates avait commencé à se former en Cilicie : méprisée à son origine, et à peine connue, les services qu’elle rendit à Mithridate pendant sa guerre contre les Romains, lui inspirèrent un sentiment d’orgueil et d’audace. Dans la suite, les Romains, occupés par leurs guerres civiles, et qui se livraient entre eux des combats aux portes de Rome, laissèrent la mer sans défense. Attirés insensiblement par cet abandon, les pirates tirent de tels progrès, qu’ils ne se bornaient plus à assaillir ceux qui naviguaient ; ils ravageaient les îles et les villes maritimes. Déjà même des hommes riches, distingués par leur naissance et leur capacité, montaient sur des vaisseaux corsaires et se joignaient à eux : il semblait que la piraterie fût devenue un métier honorable, et qui dût flatter l’ambition. Ils avaient en plusieurs endroits des ports de refuge, et des tours d’observation fortifiées ; partout on voyait apparaître leurs flottes, remplies de bons rameurs et de pilotes habiles, composées de vaisseaux légers, que leur vitesse rendait propres à toutes les manœuvres. La magnificence de ces navires était plus