Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/381

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lomnie, forgée par Théophane, qui haïssait Rutilius, sans doute parce que Rutilius ne lui ressemblait en rien[1]. Peut-être a-t-il inventé le fait pour faire plaisir à Pompée, dont le père était représenté, dans l’histoire de Rutilius, comme un homme d’une perversité achevée.

De là, Pompée gagna la ville d’Amisus, où son ambition lui fit commettre une action qui fut vivement blâmée. Lui qui avait repris Lucullus avec aigreur d’avoir, avant la fin de la guerre, disposé des gouvernements, décerné des dons et des honneurs, ce que les vainqueurs ne font ordinairement que lorsque la guerre est finie, il fit, alors que Mithridate dominait encore dans le Bosphore et venait d’y rassembler une puissante armée, ce qu’il avait condamné dans Lucullus ; et, comme si la guerre était terminée, il donna des commandements de provinces, et distribua des présents. Plusieurs capitaines et plusieurs princes, entre autres douze rois barbares, se rendirent auprès de lui ; et, pour leur faire plaisir, il ne donna point au Parthe, dans la lettre qu’il lui écrivit en réponse à la sienne, le titre de roi des rois, comme faisaient les autres.

Il lui prit alors un violent désir de reconquérir la Syrie, et de pénétrer par l’Arabie jusqu’à la mer Rouge, afin d’avoir de tous côtés, pour bornes à ses conquêtes, l’Océan qui environne la terre. En effet, il était le premier qui se fût ouvert dans l’Afrique, par ses victoires, un chemin jusqu’à la mer extérieure[2] ; en Espagne, il

  1. Rutilius, dans son consulat, avait mis un frein aux déportements des chevaliers qui administraient l’Asie : ils le traduisirent en justice, et eurent le crédit de le faire exiler. Cicéron, en plusieurs endroits de ses ouvrages, fait un grand éloge de la vertu de Rutilius. Rutilius avait composé en grec une Histoire romaine estimée. Théophane n’était qu’un flatteur aux gages de Pompée, et qui, dans ses écrits, se souciait médiocrement de la vérité.
  2. L’océan Atlantique.