Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/426

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Pompée, et qui ne le connaissait que de vue : il se nommait Péticius. La nuit précédente, Pompée lui était apparu en songe, non tel qu’il l’avait souvent vu, mais qui s’entretenait avec lui dans un état d’humiliation et d’abattement. Péticius racontait ce songe aux passagers, comme c’est l’ordinaire des gens désœuvrés de s’entretenir de ces sortes de matières. Tout à coup un des matelots lui dit qu’il apercevait un bateau de rivière qui venait du rivage en forçant de rames, et des hommes qui agitaient leurs robes et tendaient les mains. Péticius, s’étant levé, reconnut aussitôt Pompée, tel qu’il l’avait vu en songe : il se frappe la tête de douleur, et ordonne aux matelots de descendre l’esquif. Il étend la main, et appelle Pompée par son nom, conjecturant déjà, à l’état dans lequel il le voyait, le changement de sa fortune. Aussi, sans attendre de sa part ni prière ni discoure, le reçut-il dans son vaisseau, et avec lui tous ceux que voulut Pompée, entre autres les deux Lentulus et Favonius : puis il remit a la voile. Quelque temps après, ils virent sur le rivage le roi Déjotarus, qui faisait des signes pour être aperçu d’eux ; et ils le reçurent dans leur vaisseau. Quand l’heure du souper fut venue, le patron lui-même l’apprêta avec les provisions qu’il avait ; et Favonius, voyant que Pompée, faute de domestiques, ôtait lui-même ses habits pour se baigner, courut à lui, le déshabilla, le mit dans le bain, et le frotta d’huile. Depuis ce moment, Favonius ne cessa de prendre soin de Pompée, et de lui rendre tous les services qu’un esclave rend à son maître, jusqu’à lui laver les pieds et lui préparer ses repas. Aussi quelqu’un s’écria-t-il, admirant avec quelle noblesse et quelle simplicité sans nulle affectation il s’acquittait de ce service :

Dieux ! comme tout sied aux cœurs généreux[1] !
  1. Vers d’une tragédie perdue d’Euripide.