Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/432

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pêcheur, ce sans gêne leur fut suspect, et ils conseillèrent à Pompée de gagner le large, pendant qu’on était hors de la portée du trait. Cependant le bateau s’approcha, et Septimius, s’étant levé le premier, salua Pompée en latin du titre d’imperator. Achillas le salua en langue grecque, et l’invita à passer dans la barque, alléguant les bas-fonds de la côte, et les bancs de sable dont la mer était remplie : il n’y avait pas assez d’eau, suivant lui, pour y engager une trirème. On voyait en même temps des vaisseaux du roi qui s’équipaient, des soldats qui se répandaient sur le rivage : ainsi la fuite devenait impossible, quand même Pompée eût changé d’avis ; d’ailleurs, montrer de la défiance, c’était fournir aux assassins l’excuse de leur crime. Pompée embrasse Cornélie, qui le pleurait déjà comme un homme mort, et ordonne à deux centurions de sa suite, à Philippe, un de ses affranchis, et à un esclave, nommé Scènes, de monter avant lui dans la barque ; et, comme Achillas lui tendait la main de dessus le bateau, il se retourna vers sa femme, et son fils, et leur dit ces vers de Sophocle[1] :

Tout homme qui entre chez un tyran
Devient son esclave, bien qu’il y soit venu libre.


Ce furent les dernières paroles qu’il dit aux siens ; et il passa dans la barque.

La distance était longue de la trirème au rivage : voyant que, durant le trajet, aucun de ceux qui étaient avec lui dans la barque ne lui adressait un mot affectueux, il jeta les yeux sur Septimius : « Mon ami, dit-il, me trompé-je, ou n’as-tu pas fait la guerre avec moi ? » Septimius répondit affirmativement par un simple signe de tête, sans prononcer une seule parole, sans témoigner à Pompée aucun intérêt. Il se fit de nouveau un profond silence ;

  1. Tirés d’une des pièces qui n’existent plus.