Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/501

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niens qui venaient de la rivière, et portaient de l’eau dans des outres sur des mulets. Dès qu’ils virent Alexandre, à l’heure de midi, cruellement tourmenté par la soif, ils remplirent d’eau un casque, et la lui offrirent. Alexandre leur demanda à qui ils portaient cette eau. « À nos enfants, répondirent-ils ; mais nous en aurons assez d’autres, pourvu que tu vives, si nous perdons ceux-ci. » Il prit le casque de leurs mains, sur cette parole ; mais, comme il eut vu, en regardant autour de lui, tous ses cavaliers, la tête penchée en avant, les yeux fixés sur cette boisson, il rendit le casque, sans goûter à l’eau, et remercia ceux qui la lui avaient offerte. « Si je bois seul, dit-il, ces gens-ci perdront courage. » Les cavaliers, admirant sa tempérance et sa grandeur d’âme, lui crièrent de les mener partout où il voudrait, et fouettèrent leurs chevaux. Il n’y avait plus pour eux ni lassitude ni soif, enfin ils ne se croyaient pas mortels, tant qu’ils auraient un tel roi à leur tête.

Ils avaient tous le même désir de le suivre ; mais il n’y en eut que soixante, dit-on, qui arrivèrent avec lui au camp des ennemis. Là, ils passent par-dessus des tas d’or et d’argent répandus à terre, pénètrent à travers une quantité de chariots remplis de femmes et d’enfants, qui n’avaient pas de conducteurs, et courent à toute bride vers les escadrons les plus avancés, où ils pensaient trouver Darius. Ils le découvrirent à la fin, couché dans son char, le corps percé de javelots, et sur le point d’expirer. Dans cet état, il demanda à boire ; et, ayant bu de l’eau fraîche, il dit à Polystratus, qui la lui avait donnée : « Mon ami, c’est pour moi le comble du malheur, d’avoir reçu un bienfait, et de ne pouvoir le reconnaître ; mais Alexandre t’en donnera la récompense ; et les dieux récompenseront Alexandre de l’humanité avec laquelle il a traité ma mère, ma femme et mes enfants : mets pour moi ta main dans la sienne, comme un gage