Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/508

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frère Balinus, qui sur-le-champ alla trouver Philotas, et le pressa de les introduire auprès d’Alexandre, alléguant qu’ils avaient à lui communiquer des choses importantes, et dont il fallait qu’il fût promptement instruit. Philotas, je ne sais pourquoi, car on n’a sur cela rien de certain, refusa de les y conduire, sous prétexte que le roi était occupé d’affaires de plus grande importance. Un second refus leur rendit Philotas suspect, et ils s’adressèrent à un autre, qui les introduisit auprès d’Alexandre. Ils révèlent au roi la conjuration de Linnus, et lui parlent ensuite, comme en passant, du peu d’attention que Philotas avait donné aux démarches qu’ils avaient faites par deux fois auprès de lui. Alexandre fut très-irrité de cette conduite ; mais, quand on vint lui dire que l’officier chargé d’arrêter Linnus l’avait tué, parce qu’il s’était mis en défense, il fut encore plus troublé, par la pensée que cette mort lui enlevait les preuves de la conspiration. Son ressentiment contre Philotas enhardit ceux qui haïssaient de longue main celui-ci : ils commencèrent à dire ouvertement que c’était, de la part du roi, une étrange insouciance, de croire qu’un Linnus, un misérable Chalestrien, eut formé seul une entreprise si hardie ; qu’il n’était que le ministre ou plutôt l’instrument passif d’une main plus puissante ; qu’il fallait, pour trouver la source de la conjuration, remonter à ceux qui avaient le plus d’intérêt à ce qu’elle restât secrète.

Quand ils virent qu’Alexandre ouvrait l’oreille aux soupçons qu’on voulait lui donner, ils accumulèrent les accusations contre Philotas. À la fin, il fut arrêté, et appliqué à la torture en présence des amis du roi : Alexandre lui-même était caché derrière une tapisserie, d’où il pouvait tout entendre ; et, comme Philotas adressait à Héphestion les prières les plus basses et implorait sa pitié : « Hé quoi ! dit Alexandre, efféminé et lâche comme tu es, as-tu bien pu, Philotas, concevoir un projet si audacieux ? »