Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/603

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Ce fut la dernière guerre de César ; et le triomphe qui la suivit affligea plus les Romains qu’aucune chose qu’il eût faite encore ; car c’était, non pour ses victoires sur des généraux étrangers ou sur des rois barbares qu’il triomphait, mais pour avoir détruit et éteint la race du plus grand personnage que Rome eût produit, et qui avait été victime des caprices de la Fortune. C’était une honte, à leurs yeux, de triompher des malheurs de la patrie, et de se glorifier de succès que pouvait excuser la nécessité seule et devant les dieux et devant les hommes : d’autant que jusqu’alors César n’avait jamais envoyé de courriers, ni écrit de lettres publiques pour annoncer les victoires qu’il avait remportées dans les guerres civiles, et en avait toujours rejeté la gloire, par un sentiment de pudeur. Cependant les Romains pliaient sous l’ascendant de sa fortune, et se soumettaient au frein sans résistance. Persuadés que le seul moyen de se remettre de tous les maux qu’avaient causés les guerres civiles, c’était l’autorité d’un seul, ils le nommèrent dictateur perpétuel. C’était là une véritable tyrannie, puisqu’à l’autorité sans contrôle de la monarchie on ajoutait l’assurance de n’en être jamais dépossédé. Cicéron fut le premier qui proposa de lui décerner de grands honneurs ; mais ces honneurs étaient dans les bornes d’une grandeur humaine ; d’autres y en ajoutèrent d’immodérés, disputant à l’envi à qui lui en prodiguerait le plus ; et, par ces distinctions excessives, ils rendirent César odieux et insupportable aux hommes même du naturel le plus doux. Aussi croit-on que ses ennemis ne contribuèrent pas moins que ses flatteurs à les lui faire décerner, pour se préparer plus de prétextes contre lui, et pour colorer leurs entreprises des apparences les plus graves et les plus légitimes ; car, du reste, les guerres civiles une fois terminées, il se montra irréprochable dans sa conduite.

Ce fut donc une justice qu’on lui rendit en ordonnant