Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/632

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cion, jamais il ne fit de mal à aucun de ses concitoyens par haine particulière, et jamais il ne regarda personne comme son ennemi ; mais il était sévère, dur et inflexible envers ceux qui s’élevaient contre lui, et qui s’opposaient au bien qu’il voulait faire à la patrie. Dans tout le reste de sa conduite, c’était l’homme le plus doux, le plus affable et le plus humain de tous ; jusque-là que, quand ses adversaires étaient dans le malheur ou couraient quelque danger, il s’empressait de voler à leur secours, et se déclarait leur défenseur. Un jour, ses amis lui reprochaient de défendre en justice un méchant. « Les bons n’ont pas besoin qu’on les défende, répondit Phocion. » Lorsqu’Aristogiton le sycophante eut été condamné, il fit prier Phocion de le venir voir ; Phocion se disposa aussitôt à y aller ; et, comme ses amis cherchaient à l’en détourner : « Laissez-moi faire, dit-il ; car, où pourrait-on voir Aristogiton plus volontiers que là ? »

Quand les flottes athéniennes étaient commandées par d’autres que par Phocion, les villes maritimes des alliés et les insulaires obstruaient leurs ports, et faisaient rentrer dans leurs murs les femmes, les enfants, les esclaves et les troupeaux, parce qu’ils regardaient ces flottes comme ennemies. Mais, quand elles étaient commandées par Phocion, les habitants allaient au loin à sa rencontre avec leurs vaisseaux, ravis de joie, couronnés de fleurs, et le conduisaient dans leurs ports. Philippe, voulant s’emparer de l’Eubée par surprise, y faisait passer des troupes macédoniennes, et cherchait à mettre les villes dans son parti, par le moyen des tyrans de l’île. Plutarchus d’Érétrie[1] appela les Athéniens, et les conjura de venir arracher l’Eubée des mains de Philippe, qui était sur le point de s’en rendre maître. Phocion y fut envoyé, avec une armée peu nom-

  1. Ville d’Eubée, sur l’Euripe.