Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/685

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« Il ne faut, disait-il, avoir recours à une charge dont l’autorité est si puissante, que dans une extrême nécessité, comme on emploierait une forte médecine. » Durant le grand loisir que lui laissaient alors les affaires publiques, il fit provision de livres, et, emmenant avec lui quelques philosophes, il se retirait en Lucanie, où il avait des terres dont le séjour n’était pas sans agrément. Il rencontra sur sa route un grand nombre de bêtes de somme avec un bagage considérable et un grand train. Il demanda à qui appartenaient ces équipages ; on lui répondit qu’ils étaient à Métellus Népos, qui retournait à Rome pour briguer le tribunat. À cette réponse, il s’arrêta sans rien dire ; et, après un moment de réflexion, il ordonna à ses gens de rebrousser chemin. Et, comme ses amis s’étonnaient de ce changement subit : « Ignorez-vous, leur « dit-il, que Métellus est déjà redoutable par sa folie ? Et maintenant qu’il va rentrer dans Rome, appelé par Pompée, il tombera sur le gouvernement comme la foudre, et mettra tout en feu. Ce n’est donc plus le moment de se reposer et d’aller à la campagne. Il faut dompter les fureurs de cet homme, ou mourir glorieusement en défendant la liberté. »

Cependant, sur les représentations que lui firent ses amis, il alla dans ses terres ; et, après y avoir passé très-peu de jours, il retourna à Rome. Il y arriva le soir ; et, le lendemain, dès la pointe du jour, il descendit au Forum, et demanda le tribunat, par le seul motif de s’opposer à Métellus. Car cette charge a plus de force pour empêcher que pour agir : quand tous les autres tribuns auraient rendu de concert un décret, l’opposition d’un seul, qui refuse son consentement, l’emporte sur leur avis unanime. Caton ne se vit d’abord soutenu que par un petit nombre d’amis ; mais, quand on eut su le motif qui le faisait agir, tous les bons citoyens, toutes les personnes dont il était connu, se rangèrent autour de lui,