Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/688

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du dernier supplice. Tous les autres sénateurs successivement, jusqu’à César, furent du même avis. Mais César, homme éloquent, et qui regardait tous les changements, tous les mouvements auxquels Rome serait en proie, comme un aliment aux desseins qu’il avait conçus lui-même, chercha à augmenter l’incendie bien plus qu’à l’éteindre : il se leva, et fit un discours plein d’adresse, et qui respirait l’humanité[1], alléguant qu’il serait injuste de faire mourir les accusés sans suivre les formes, et concluant à ce qu’on les retînt en prison jusqu’à ce que le procès fût instruit. Ce discours changea tellement les dispositions du Sénat, qui craignit le ressentiment du peuple, que Silanus lui-même rétracta son opinion. « Je n’ai pas opiné à la mort, dit-il, mais à la prison ; car c’est là pour un Romain le dernier des châtiments. » Ce revirement inattendu inclina ceux qui opinèrent ensuite au parti le plus doux et le plus humain. Pour Caton, il s’éleva fortement contre cet avis : il s’emporta dès les premiers mots avec colère et véhémence, reprochant à Silanus la lâcheté de son changement ; puis il s’attaqua à César, dénonçant ces manières populaires, ces discours pleins d’humanité, comme autant de manœuvres pour bouleverser la ville et jeter l’effroi dans le Sénat. « Tu dois plutôt, dit-il, craindre pour toi-même, et t’estimer heureux si tu peux paraître innocent de tout ce qui s’est fait, et te mettre à l’abri du soupçon, toi qui, sans déguisement et avec une telle audace, proposes d’arracher à la sévérité de la justice les ennemis de la patrie ; toi qui, indifférent au danger d’une ville si puissante mise à deux doigts de sa perte, réserves ta sensibilité et tes larmes pour des monstres qui n’auraient jamais dû naître ; toi, enfin, qui sembles craindre qu’on

  1. Ce discours, ou tout au moins l’abrégé de ce discours, est dans Salluste.