Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/739

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philosophiques. De propos en propos on arriva à l’examen de ce qu’on appelle les paradoxes des stoïciens : par exemple, que l’homme de bien est seul libre, et que tous les méchants sont esclaves. Le péripatéticien, comme on peut croire, ne manqua pas de s’élever contre ce dogme ; mais Caton réfuta ses arguments avec véhémence, et d’un ton de voix rude et sévère ; et il soutint pendant très-longtemps cette lutte avec une merveilleuse abondance de raisons. Aussi personne ne douta plus qu’il n’eût résolu de mettre fin à sa vie, pour se délivrer des maux qui l’accablaient. Quand il eut cessé de parler, tous les convives gardèrent un morne silence. Alors Caton s’occupa de les rassurer, et d’éloigner leurs soupçons. Il remit la conversation sur les affaires présentes, témoigna de l’inquiétude et de la crainte pour ceux qui s’étaient embarqués, et ne parut pas moins en peine de ceux qui s’en allaient par terre à travers un désert sauvage et sans eau.

Lorsqu’il eut congédié les convives, il fit avec ses amis sa promenade accoutumée d’après souper ; ensuite il donna aux capitaines qui commandaient la garde les ordres qu’exigeait la circonstance ; et, en se retirant dans sa chambre, il embrassa son fils, et chacun de ses amis en particulier, avec des témoignages d’affection plus marqués qu’à l’ordinaire : ce qui renouvela leurs appréhensions sur ce qui allait arriver. Quand il fut dans son lit, il prit le dialogue de Platon sur l’âme[1], et, après en avoir lu la plus grande partie, il regarda au-dessus de son chevet : comme il n’y voyait pas son épée suspendue (car son fils l’avait enlevée pendant le souper), il appela un de ses esclaves, et lui demanda qui avait pris son épée. L’esclave n’ayant rien répondu, il se remit à sa lecture ; et, après avoir attendu quelques instants, pour ne mon-

  1. C’est celui qui est intitulé Phédon.