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LUCULLUS.

si le superflu, si ce qui est inconnu au maître, n’est pas plus considérable que ce qui paraît[1].

Lucullus se comportait, pour la dépense journalière de sa table, en homme nouvellement enrichi. Couché sur des lits de pourpre, on le servait en vaisselle ornée de pierreries ; il avait, pendant ses repas, des chœurs de danse et de musique, et faisait servir sur sa table les mets les plus rares et les plus exquis, les pâtisseries les plus recherchées : c’était vouloir se faire admirer des hommes sans jugement. Aussi sut-on gré à Pompée de ce qu’il fit dans une maladie. Son médecin lui avait ordonné de manger une grive ; ses domestiques vinrent lui dire qu’il était impossible de trouver des grives en été ailleurs que chez Lucullus, qui en faisait engraisser toute l’année ; il ne voulut pas qu’on y en prit : « Hé quoi ! dit-il au médecin, si Lucullus n’était pas un homme voluptueux, Pompée ne pourrait donc pas vivre ? » Et il demanda qu’on lui préparât quelque mets facile à trouver.

Caton, son ami et son allié, ne pouvait lui pardonner sa vie de luxe et de mollesse. Un jeune homme faisait, hors de propos, devant le Sénat, un discours ennuyeux et prolixe sur la tempérance et la frugalité ; Caton se leva : « Ne cesseras-tu, lui dit-il, toi riche comme Crassus et vivant comme Lucullus, de parler comme Caton ! » Du reste, quelques-uns disent qu’à la vérité ce propos fut tenu, mais non point par Caton.

Pour Lucullus, on ne peut douter, d’après les mots qui ont été recueillis de lui, qu’il n’aimât fort ce genre de vie, bien plus, qu’il ne s’en fît honneur. Il traita, dit-on, plusieurs jours à sa table des Grecs qui étaient venus à

  1. Voici les vers d’Horace dont Plutarque donne ici tant bien que mal la traduction. C’est dans l’épitre VIe du liv. Ier :

    Exilis domus est ubi non et multa supersunt,
    Et dominum fallunt, et prosunt furibus