Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/110

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de Tibérius et de Caïus Gracchus, avec quelle puissance irrésistible se font sentir ses effets. Doués l’un et l’autre des inclinations les plus heureuses, formés à la vertu par une excellente éducation, entrés dans l’administration des affaires avec les vues les plus pures, ce qui les perdit, ce ne fut pas tant un désir immodéré de gloire, qu’une crainte de déshonneur dont le principe n’avait rien en soi que de généreux. La grande affection dont les citoyens leur avaient donné des marques était, à leurs yeux, une dette qu’ils auraient rougi de ne pas acquitter. Jaloux de surpasser, par des lois populaires, les honneurs qui leur étaient décernés, et comblés chaque jour de nouveaux honneurs en reconnaissance de ces lois, ils s’enflammèrent à l’envi, le peuple et eux, d’un mutuel amour, et se trouvèrent engagés de la sorte, sans s’en douter, dans une situation d’affaires où marcher en avant n’était plus honorable, et où déjà c’était une honte de s’arrêter. Tu vas en juger toi-même[1] par le récit de leur vie.

Mettons en parallèle avec eux un couple d’hommes populaires, les rois de Sparte Agis et Cléomène, qui, ayant voulu, comme les Gracques, augmenter la puissance du peuple et rétablir une constitution belle et juste, mais depuis longtemps abolie, devinrent, comme eux, un objet de haine aux citoyens puissants, lesquels ne voulaient pas renoncer à une avarice dont ils avaient contracté l’habitude. Les deux Spartiates n’étaient pas frères ; mais il y eut dans leurs principes de gouvernement une sorte de parenté et de fraternité. Or, voici les premiers faits de leur histoire.

  1. Plutarque s’adresse ici à Sossius Sénécion.