Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/179

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pure et châtiée ; celle de son frère, persuasive et ornée avec une sorte de recherche. Même différence dans leur manière de vivre et dans leur table. Tibérius menait une vie simple et frugale ; Caïus, comparé aux autres Romains, était sobre et tempérant ; mais, comparé à son frère, il était recherché et donnait dans le superflu : aussi Drusus lui reprocha-t-il d’avoir acheté des tables de Delphes d’argent massif, au prix de douze cent cinquante drachmes[1] la livre pesant.

Leurs mœurs n’étaient pas moins différentes que leur langage : Tibérius était doux et calme, Caïus rude et emporté ; jusque-là que souvent, au milieu de ses discours, il s’abandonnait, contre sa volonté, à des mouvements impétueux de colère : il haussait la voix, se laissait aller aux invectives, et confondait toutes choses dans sa harangue. Pour remédier à ces écarts, voici le moyen qu’il employait. Licinius, un de ses esclaves, homme qui ne manquait pas d’intelligence, se tenait derrière lui, quand il parlait en public, avec un de ces instruments de musique qui servent à régler la voix ; et, lorsqu’il sentait, à l’éclat des sons, que son maître s’emportait et se livrait à la colère, il lui soufflait un ton plus doux. Caïus modérait aussitôt sa véhémence ; il baissait la voix, adoucissait sa déclamation, et revenait à une disposition plus tranquille.

Telles étaient les différences qu’on remarquait entre eux. Mais la vaillance contre les ennemis, la justice envers les inférieurs, la diligence dans l’exercice des fonctions publiques, la tempérance dans l’usage des plaisirs, étaient égales chez l’un comme chez l’autre.

Tibérius avait neuf ans de plus que son frère, ce qui mit entre son administration et celle de Caïus un intervalle considérable ; et rien ne contribua davantage à faire

  1. Plus de onze cents francs de notre monnaie.