Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/191

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ignominieusement traîné hors de son siège. Le peuple voulut bien lui courir sus ; mais les riches vinrent à son aide, et repoussèrent les efforts de la multitude. Il se sauva à grand’peine de la fureur du peuple ; et un esclave fidèle, qui s’était toujours tenu devant sa personne pour lui parer les coups, eut les yeux crevés. Mais ce fut contre l’intention de Tibérius ; car, dès qu’il eut été informé du tumulte, il courut en toute hâte pour en prévenir les suites.

La loi agraire passa donc, et l’on choisit trois commissaires pour faire la recherche et la distribution des terres, à savoir, Tibérius lui-même, Appius Claudius son beau-père, et son frère Caïus Gracchus. Caïus n’était pas présent à Rome : il servait sous Scipion, au siège de Numance. Tibérius, ayant terminé paisiblement cette affaire et sans trouver d’opposition, fit élire ensuite un tribun à la place d’Octavius ; mais, au lieu de présenter au peuple quelque citoyen distingué, il prit un de ses clients, nommé Mucius. Les nobles, indignés de ce choix, et pour qui l’accroissement du crédit de Tibérius était un objet de terreur, faisaient tout leur possible, dans le Sénat, pour mortifier Tibérius. Il avait demandé qu’on lui fournît, suivant l’usage, aux dépens du public, une tente pour aller faire le partage des terres : ils la lui refusèrent, quoiqu’elle eût été accordée à d’autres pour des commissions bien moins importantes. Sa dépense fut taxée à neuf oboles[1] par jour, sur la proposition de Publius Nasica, lequel se déclara, sans aucun ménagement, l’ennemi de Tibérius. C’est que Nasica possédait une grande partie des terres domaniales, et supportait impatiemment d’être contraint à s’en dessaisir.

Quant au peuple, son irritation contre les riches ne faisait que s’enflammer chaque jour davantage. Un des

  1. Environ un franc trente-cinq centimes de notre monnaie.