Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/291

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il en fut accablé de douleur : il prit aussitôt des habits de deuil, et écrivit à tous les rois, même à Séleucus, pour le conjurer de rendre la liberté à Démétrius, s’engageant à lui abandonner tout ce qu’il possédait encore, et s’offrant lui-même en otage à la place de son père. Un grand nombre de villes et de princes firent la même démarche auprès de Séleucus, excepté Lysimachus, lequel osa offrir à Séleucus des sommes considérables, s’il voulait faire périr Démétrius. Séleucus, qui déjà haïssait Lysimachus, en eut plus d’horreur encore après une offre si cruelle et si barbare : il ne différa même de relâcher Démétrius que pour attendre l’arrivée d’Antiochus et de Stratonice, afin que Démétrius leur dût sa délivrance.

Démétrius avait d’abord supporté son malheur avec constance ; bientôt il s’y accoutuma et le souffrit sans peine. Il s’exerçait à la chasse et à la course autant qu’il lui était permis de le faire ; mais ensuite il abandonna peu à peu ces exercices, et se laissa aller à la paresse et à la nonchalance ; il se livra à la débauche de la table, et consuma la plus grande partie de son temps à des jeux de hasard, soit qu’il voulût se dérober par là aux tristes réflexions qui l’assaillaient quand il était de sang-froid, ou cacher ses projets sous l’ivresse, soit qu’il eût reconnu que ce genre de vie était celui qu’il avait toujours désiré et poursuivi, mais dont le fol amour d’une vaine gloire l’avait sans cesse éloigné, pour se susciter à lui-même et susciter aux autres des peines infinies, croyant trouver sur les flottes et dans les camps ce bonheur qu’il trouvait maintenant, contre son attente, dans la paresse, dans l’abandon de toutes les affaires. En effet, quel autre fruit ces malheureux rois qu’égarent de funestes dispositions tirent-ils de toutes leurs guerres, de tous les dangers auxquels ils s’exposent, sinon de sacrifier la vertu et l’honnêteté au luxe et à la volupté, et de poursuivre vainement un bonheur dont ils ne savent jamais véritablement jouir ?