Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nesse de sa conversation, qu’il sentit bien qu’Antoine ne voudrait jamais causer de déplaisir à une telle femme, mais que plutôt elle captiverait aisément son esprit. Il s’attacha donc à lui faire sa cour : il la pressa d’aller en Cilicie parée, comme dit Homère, de tout ce qui pouvait relever ses charmes[1], et l’exhorta à ne pas craindre Antoine, qui était, disait-il, le plus doux et le plus humain des généraux. Cléopâtre crut aisément ce que lui disait Dellius ; d’ailleurs l’expérience qu’elle avait faite du pouvoir de ses charmes sur Jules César et sur le jeune Pompée lui faisait espérer qu’elle n’aurait pas grand’peine à captiver Antoine, d’autant que les premiers ne l’avaient connue que dans sa première jeunesse, et lorsqu’elle n’avait encore aucune expérience des affaires ; au lieu qu’Antoine la verrait à l’âge où la beauté des femmes est dans tout son éclat, et leur esprit dans toute sa force. Elle prit avec elle de riches présents, des sommes d’argent considérables, et un appareil aussi magnifique que pouvait l’avoir une reine si puissante, et dont le royaume était dans un état alors très-florissant ; mais c’était sur elle-même, c’était sur le prestige de ses charmes, qu’elle fondait ses plus grandes espérances.

Elle recevait coup sur coup des lettres d’Antoine et de ses amis qui la pressaient de hâter son voyage ; mais elle en tint si peu de compte, et se moqua si bien de toutes ces invitations, qu’elle navigua tranquillement sur le Cydnus, dans un navire dont la poupe était d’or, les voiles de pourpre et les avirons d’argent. Le mouvement des rames était cadencé au son des flûtes, qui se mariait à celui des chalumeaux et des lyres. Elle-même, magnifiquement parée, et telle qu’on peint Vénus,

  1. Allusion au passage de l’Iliade, XIV, 162, où Junon s’apprête à endormir Jupiter sur le mont Ida, en allant emprunter la ceinture de Vénus.