Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/373

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l’abri et de la guerre et de la servitude. Mais, quand les Arabes des environs de Pétra eurent brûlé les premiers navires qu’elle faisait ainsi traîner à travers l’isthme, et qu’elle vit qu’Antoine comptait encore sur son armée d’Actium, elle abandonna son entreprise, et se borna à faire garder les passages qui pouvaient donner accès dans ses États.

Quant à Antoine, quittant Alexandrie et renonçant à tout commerce avec ses amis, il fit construire une jetée dans la mer, non loin du Phare, sur laquelle il bâtit une retraite, où il se proposait de passer ses jours loin de toute société. Il aimait, disait-il, et voulait imiter la vie de Timon, dont le sort avait été semblable au sien ; car comme lui Timon avait fait l’épreuve de l’ingratitude et de l’injustice de ses amis, ce qui lui avait donné de la défiance et de la haine contre tous les hommes. Ce Timon était un Athénien qui vivait au temps de la guerre du Péloponnèse, comme on en peut juger par les comédies d’Aristophane et de Platon[1] où il est raillé sur sa misanthropie. Lui qui fuyait et repoussait même tout commerce avec les autres Athéniens, il recherchait celui d’Alcibiade, alors jeune et audacieux, et le comblait de caresses. Apémantus, étonné de cette préférence, lui en demandait la cause. « J’aime ce jeune homme, répondit Timon, parce que je prévois qu’il fera un jour beaucoup de mal aux Athéniens. » Or, Apémantus était le seul que Timon fréquentât quelquefois, parce que son caractère était à peu près semblable au sien, et que son genre de vie était le même. Un jour, qu’on célébrait la fête des Choées[2] comme ils soupaient

  1. Platon le comique.
  2. C’était le deuxième jour des Anthestéries, solennité en l’honneur de Bacchus. Le premier jour se nommait les Pithœgies, ou l’ouverture des tonneaux : c’était le 11 du mois ; on commençait ce jour-là à boire le vin nouveau. Le second jour se nommait les Choées ou les libations : c’était une commémoration de la réception qu’on avait faite pendant la fête de Bacchus à Oreste, meurtrier de sa mère : on avait mis devant chaque convive une coupe, afin qu’Oreste ne communiquât point de libations avec les autres, et pourtant ne fût point exclu de la cérémonie religieuse. Le troisième et dernier jour se nommait les Chytres ou les marmites, parce qu’on y faisait cuire des graines dans des pots, pour les offrir à Mercure souterrain.