Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/401

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pensait, sans que celui-ci fût blessé de sa franchise ; témoin la remontrance que Dion lui fit au sujet de Gélon. Denys raillait un jour sur la manière dont Gélon avait gouverné. « Gélon, disait-il, a été la risée de la Sicile[1]. » Et, comme tous les courtisans se récriaient sur la finesse de la plaisanterie, Dion, indigné, adressant la parole à Denys : « As-tu donc oublié, lui dit-il, que, si tu règnes, c’est parce que la conduite de Gélon a fait prendre confiance en toi ? et ignores-tu que tu seras cause que désormais on ne se fiera plus à personne ? » En effet, Gélon montra qu’il n’est pas de plus beau spectacle qu’une ville gouvernée par un prince sage ; tandis que Denys prouva que le plus odieux de tous les spectacles, c’est de la voir gouvernée par un tyran.

Denys avait trois enfants de Doris, et quatre d’Aristomaque, entre autres deux filles, l’une appelée Sophrosyne, qui fut mariée à Denys, fils aîné du tyran ; l’autre nommée Arété, épousa Théoridès, frère du jeune Denys, et, après la mort de Théoridès, Dion, qui était son oncle.

Denys étant tombé malade, et sa fin paraissant prochaine, Dion voulut lui parler en faveur des enfants qu’il avait eus d’Aristomaque ; mais les médecins, pour faire leur cour au jeune Denys, qui devait succéder à son père, n’en laissèrent pas le temps à Dion. Car, au rapport de Timée, le tyran ayant demandé un remède soporatif, ils lui en donnèrent un d’une telle violence, qu’il engourdit tous ses sens, et le fit passer promptement du sommeil à la mort[2]. Cependant, la première fois que Denys le jeune assembla ses amis, Dion parla avec tant de

  1. La plaisanterie de Denys roule sur la ressemblance presque complète des mots Γέλωνα, accusatif du nom de Gélon, et yέλωτα, accusatif de γέλως, risée,
  2. L’an 368 avant J.-C.