Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/404

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nullement aux affaires politiques. Et c’est par rapport à ce défaut que dans la suite Platon, prophétisant en quelque sorte ce qui devait lui arriver, lui écrivait de se garder de la fierté, compagne ordinaire de la solitude[1]. Néanmoins, on le traitait alors avec la plus grande distinction : d’ailleurs l’état des affaires en faisait une loi au tyran, parce que Dion était le seul qui pût, ou du moins celui qui pouvait le mieux défendre la tyrannie, menacée par de grands orages. Il ne fut pas longtemps sans s’apercevoir que ce n’était point à l’affection du tyran qu’il devait les honneurs et la puissance dont il jouissait, mais que le besoin que Denys avait de son secours lui arrachait seul ces hommages.

Comme il était persuadé que les vices de Denys ne venaient que de son ignorance, il chercha à lui inspirer le goût des occupations honnêtes, à lui faire aimer les sciences et les arts propres à former les mœurs, afin qu’il cessât de craindre la vertu, et qu’il s’accoutumât à trouver du plaisir dans la pratique du bien. Denys n’était pas, de son naturel, un des plus mauvais tyrans ; mais son père, craignant que, si son esprit venait à se développer et qu’il goûtât les entretiens des gens sensés, il ne conspirât contre lui, et ne lui enlevât le pouvoir suprême, l’avait tenu renfermé dans son palais, où, privé de tout commerce, et entièrement étranger aux affaires, il n’avait, dit-on, d’autre occupation que celle de faire de petits chariots, des chandeliers, des escabelles et des tables de bois. La crainte avait rendu l’ancien Denys si méfiant et si timide, que tout le monde lui était suspect : il ne souffrait pas même qu’on lui fit les cheveux avec des ciseaux ; c’était un de ses domestiques[2] qui, avec un

  1. À la fin de la quatrième lettre.
  2. Je suis la correction de Dusoul. Il y a dans le texte τών πλαστῶν τις, un de ses sculpteurs, ce qui est parfaitement ridicule. Dusoul lit, avec raison : τών πελαστῶν ou πελατῶν Cicéron, dans les Tusculanes, dit que c’étaient les filles mêmes de Denys qui rendaient ce service à leur père.