Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/46

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ceur à la force, et correspondait passablement à la complexion de son corps ; pressé par les instances que lui faisaient dans leurs lettres ses amis de Rome, et par les conseils répétés d’Antiochus, il se décida à entrer dans l’administration des affaires. Toutefois il voulut, auparavant, former, avec plus de soin encore qu’il n’avait fait, son éloquence, comme un instrument absolument nécessaire, et développer son talent politique : il s’exerçait à la composition, et fréquentait les rhéteurs les plus estimés. C’est pour cela qu’il passa en Asie et à Rhodes. Il suivit les écoles des rhéteurs asiatiques, Xénoclès d’Adramytte[1], Denys de Magnésie, et Ménippe le Carien. À Rhodes, il s’attacha au rhéteur Apollonius, fils de Molon[2], et au philosophe Posidonius. Apollonius n’entendait pas la langue romaine : il pria, dit-on, Cicéron de déclamer en grec ; ce que Cicéron fit volontiers, assuré que ses fautes seraient mieux corrigées. Quand il eut déclamé, les auditeurs, ravis d’admiration, le comblèrent à l’envi de louanges ; mais Apollonius ne donna, en l’écoutant, aucun signe d’approbation ; et, quand le discours fut fini, il demeura longtemps pensif, sans rien dire. Comme Cicéron paraissait affecté de son silence : « Cicéron, dit Apollonius, je te loue et t’admire ; mais je plains le sort de la Grèce, en voyant que les seuls avantages qui nous restaient, le savoir et l’éloquence, vont, par toi, passer aussi du côté des Romains. »

Cicéron, rempli d’espérances, s’apprêtait à entrer dans les affaires publiques ; mais un oracle émoussa son ardeur. Il avait demandé au dieu de Delphes par quel moyen il pourrait s’élever au faîte de la gloire : « Ce sera, répondit la Pythie, en prenant pour guide de ta vie ton

  1. Ville de Mysie.
  2. Ici Plutarque se trompe ; d’un seul nom il en fait deux : ce rhéteur se nommait Apollonius Molon.