Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/537

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lait l’œil du roi[1], passa à cheval près du lieu où il gisait, et reconnut les eunuques qui fondaient en larmes. Il s’adresse à celui qu’il savait être le plus attaché à son maître : « Quel est cet homme que tu pleures, assis près de son corps, Pariscas ? dit-il. — Artasyras, répondit l’eunuque, ne vois-tu donc pas que c’est Cyrus ? » Artasyras, surpris, console l’eunuque, et lui recommande de garder le corps de Cyrus avec soin ; puis, courant à toute bride vers Artaxerxès, qu’il trouve sans espérance, accablé de faiblesse par la soif et par les souffrances que lui faisait endurer sa blessure, il lui annonce avec joie qu’il vient de voir Cyrus mort. Le roi voulut d’abord aller s’en assurer lui-même, et commanda à Artasyras de le mener sur le lieu ; mais le bruit qui courait que les Grecs, partout vainqueurs, poursuivaient les fuyards et les massacraient, avait rempli les esprits d’une telle crainte, qu’il y renonça, préférant y envoyer plusieurs personnes : il fit donc partir trente hommes avec des flambeaux, pour s’assurer du fait. L’eunuque Satibarzanès, le voyant près de mourir de soif, courut de tous côtés pour se procurer de l’eau ; car le lieu où s’était retiré le roi n’en avait pas, et le camp était fort éloigné. Le hasard lui fit rencontrer un de ces misérables Cauniens, qui portait dans une méchante outre huit cotyles[2] environ d’une eau mauvaise et corrompue. Satibarzanès s’en empare, et la porte au roi, qui la but tout entière. Quand il eut fini de boire, l’eunuque lui demanda si cette eau ne lui avait pas semblé bien mauvaise. Artaxerxès prit les dieux à témoin qu’il n’avait jamais bu avec autant de plaisir le plus excellent vin, ni l’eau la plus légère et la plus lim-

  1. On appelait, chez les Perses, yeux du roi, oreilles du roi, des ministres chargés de faire au roi des rapports sur ce qu’ils avaient vu ou entendu dans le royaume.
  2. Les huit cotyles faisaient un peu plus de deux de nos litres.