Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/672

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homme lui ayant appris, à son retour, que tous avaient pris la fuite, abondamment pourvus des choses qui leur étaient nécessaires : « Maintenant, lui dit-il, va te montrer aux soldats, si tu ne veux pas qu’ils te fassent périr misérablement, pensant que tu m’as aidé à me donner la mort. » Aussitôt après la sortie de l’affranchi, il prit son épée, et la tint droite des deux mains sous sa poitrine ; puis il se laissa tomber de son haut sur la pointe. Il ne donna d’autre signe de douleur qu’un simple soupir. Ses domestiques, l’ayant entendu jetèrent un grand cri, qui fut suivi des gémissements du camp et de la ville. Bientôt les soldats accoururent en tumulte à sa porte, faisant retentir la maison de leurs lamentations et de leurs regrets, et se reprochant leur lâcheté de n’avoir pas veillé sur leur empereur, afin de l’empêcher de se sacrifier pour eux. Aucun n’abandonna le corps, quoique l’ennemi fut déjà proche ; mais, après l’avoir enseveli honorablement, ils dressèrent un bûcher, et accompagnèrent son convoi, en se disputant l’honneur de porter le lit funèbre. Les uns se jetaient sur son corps, et baisaient sa plaie ; les autres lui prenaient les mains ; et ceux qui ne pouvaient approcher se prosternaient sur son passage, et l’adoraient de loin. Il y en eut plusieurs qui, après avoir jeté leurs flambeaux sur le bûcher, se tuèrent eux-mêmes ; et ce ne fut ni par reconnaissance, n’ayant jamais reçu d’Olhon aucun bienfait, du moins connu, ni par crainte des maux que pouvaient leur faire endurer les vainqueurs ; mais il paraît que jamais roi ni tyran n’eut une passion aussi ardente de régner, que ces soldats d’être commandés par Othon et de lui obéir. Ce désir ne les abandonna pas même après sa mort ; et il aboutit à une haine implacable contre Vitellius, comme nous le dirons dans son lieu[1].

Après avoir confié à la terre les cendres d’Othon, ils lui

  1. Plutarque avait écrit une Vie de Vitellius, qui n’existe plus.