Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/83

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Milon, ne causât quelque trouble dans la ville, chargea Pompée de présider à ce jugement ainsi qu’aux autres procès, et de maintenir la sûreté dans la ville et dans les tribunaux. Pompée garnit de soldats, dès avant le jour, toute l’étendue du Forum ; et Milon, qui eut peur que Cicéron, troublé par ce spectacle inaccoutumé, ne plaidât pas avec son éloquence ordinaire, lui persuada de se faire porter en litière au Forum, et de se tenir en repos jusqu’à ce que les juges fussent arrivés, et que le tribunal fût au complet ; car Cicéron était timide, à ce qu’il paraît, non-seulement à la guerre, mais même quand il s’agissait de parler : il ne commençait jamais un plaidoyer sans éprouver de la crainte ; et, lors même qu’un long usage eut fortifié et perfectionné son éloquence, il avait bien de la peine à s’empêcher de trembler et de frissonner. Défenseur de Lucius Muréna, accusé par Caton, il se piqua d’honneur de surpasser Hortensius, qui avait eu un grand succès en parlant le premier pour l’accusé : il passa toute la nuit à préparer son discours, et se fatigua tellement, par ce travail forcé et cette longue veille, qu’il parut inférieur à lui-même. Le jour du jugement de Milon, quand il vit, en sortant de sa litière, Pompée assis au haut de la place, comme dans un camp, et, autour de lui, les soldats avec leurs armes étincelantes, il fut tout troublé, et ne commença son discours qu’à grand’peine, tremblant de tout son corps, et parlant d’une voix entrecoupée[1] ; tandis que Milon assistait aux débats avec un air d’assurance et de courage, ayant dédaigné de laisser croître ses cheveux et de prendre un habit de deuil : ce fut là, je crois, ce qui ne contribua pas le moins à sa condamnation. Du reste, la frayeur de

  1. L’admirable discours pour Milon qui se trouve dans les œuvres de l’orateur fut composé à loisir par Cicéron après l’échec : c’est ce qu’il aurait voulu dire, mais nullement ce qu’il avait dit.