Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/13

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départ, Poe reparut à Richmond et se raccommoda avec M. Allan. Mme Allan venait de mourir et, en elle, Poe perdait son intercesseur accoutumé. Pendant quelques mois, il s’occupa à écrire et à publier un nouveau volume de vers. Puis, poussé par M. Allan, il entra à West Point, l’école militaire américaine. La discipline de cet établissement dut lui sembler insupportable, après deux ans de liberté. Ses nouveaux camarades remarquèrent son incapacité à accepter son nouveau genre de vie, son caractère changeant, capricieux, son air mécontent, las, désabusé, et, chose singulière, son inhabileté à s’appliquer aux mathématiques. Puis vint la nouvelle que M. Allan se remariait avec une Miss Patterson. Poe perdait tout espoir d’hériter de son père adoptif et se voyait réduit à la carrière de l’officier sans fortune. Il résolut de quitter West Point, négligea les appels, les revues, les cours, et réussit à se faire chasser par une cour martiale, le 6 mars 1831.

Il resta quelque temps encore à New-York, réédita ses vers et vécut du produit de son volume. Puis il revint à Richmond. M. Allan malade, lui fit refuser sa porte par sa nouvelle femme. Une altercation eut lieu entre elle et Poe ; celui-ci quitta la maison et n’y revint plus.

Dès ce moment, c’est-à-dire dès le milieu de 1831, Poe n’eut plus personne pour subvenir à ses besoins. Il dut lutter pour vivre, avec ses seules forces, sans l’aide d’amis ou de parents, demeuré inconnu malgré ses deux volumes de vers. Élevé dans l’insouciance et dans l’orgueil d’une grande fortune attendue, il se trouvait forcé de faire la seule chose qu’il sût, écrire. Or, en Amérique, à cette époque, les publications littéraires étaient nombreuses, mais sans importance, le travail de l’écrivain mal payé, et le goût encore grossier du public devait dédaigner plus qu’ailleurs tout raffinement d’art. À ces désavantages, se joignait le