Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/153

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Comme nous nous éloignions toujours plus du vaisseau désemparé, le fou (car ce n’est qu’ainsi que nous pouvions l’appeler,) sortit de l’escalier de dunette, traînant après lui, avec une force qui semblait gigantesque, la caisse oblongue. Nous le regardions avec une épouvante extrême. Il passa rapidement à plusieurs tours, une corde autour de la caisse, et puis autour de son corps. Un instant après le corps et la caisse étaient à la mer et y disparaissaient subitement d’un seul coup.

Nous demeurâmes mornes quelque temps, appuyés sur nos avirons et les yeux tendus vers l’endroit où Wyatt s’était abîmé. Puis nous nous éloignâmes à force de rames. Je hasardai alors une remarque.

— Avez-vous observé, capitaine, comme il est allé instantanément à fond ? N’est-ce pas une chose excessivement étrange ? Je le confesse, j’espérais presque qu’il finirait par se sauver, quand je le vis s’attacher à la caisse avant de sauter à la mer.

— Ils ont coulé bas la caisse et l’homme, c’est naturel, dit le capitaine, comme un boulet. Ils remonteront bientôt, cependant, mais pas avant que le sel ne se soit fondu.

— Le sel ? m’écriai-je.

— Chut, dit le capitaine, en me montrant la femme et les sœurs de Wyatt. Nous reparlerons de ces choses une autre fois.

Nous souffrîmes beaucoup et ne nous sauvâmes que tout juste. La fortune nous fut clémente, comme à nos compagnons de la chaloupe. Nous atterrîmes enfin, plus morts que vifs, après quatre jours de détresse suprême, sur la plage vis-à-vis de l’île Roanoke. Nous restâmes là