Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/164

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dessous, notre route nous mena du côté de la rivière. Il y avait un pont que nous voulûmes passer. Ce pont avait été couvert d’une toiture pour le protéger des intempéries, et, comme on n’y avait percé que peu de haies, le passage demeurait désagréablement sombre. Quand je pénétrai sous la voûte, le contraste entre la lumière éblouissante du dehors et l’obscurité intérieure abattit en quelque mesure ma gaîté. Mais non pas celle de ce malheureux Dieumedamne qui offrit de parier sa tête au diable que j’étais tombé en hypocondrie.

Mon compagnon semblait étrangement dispos. Il était d’humeur extrêmement joyeuse, si bien que j’éprouvai je ne sais quels soupçons inquiétants. Il n’est pas impossible qu’il ne fût atteint de transcendantalisme. Cependant je ne suis pas assez versé dans la diagnostic de cette maladie pour trancher ce point, et, malheureusement, aucun de mes amis du Diaire philosophique n’était présent. Si j’avance cette idée de transcendantalisme, c’est à cause d’une certaine bouffonnerie grave que semblait affecter mon pauvre ami et qui le faisait se rendre ridicule. Rien ne lui plaisait davantage, à tout obstacle qu’il rencontrait, que de se glisser dessous ou de sauter par dessus, tantôt criant, tantôt murmurant toute sorte d’étranges paroles, petites ou grandes, et malgré cela tenant tout le temps la mine la plus grave du monde. Réellement, je ne pouvais prendre de parti entre mon envie de lui administrer des coups de pieds, et ma propension à le plaindre.

Enfin, ayant presque traversé le pont, nous arrivâmes à l’extrémité du trottoir, où notre marche fut arrêtée par