Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/193

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pour leur plaisir. Je ne puis dire exactement quelles étaient les idées des Canadiens à ce sujet. Ces gaillards parlaient assurément beaucoup des profits de notre expédition, particulièrement de la part de gain à laquelle ils s’attendaient pour eux ; cependant je puis à peine penser qu’ils s’en souciaient beaucoup. Ils étaient les plus simples, et certainement les plus obligeants de tous les êtres sur terre. Quant au reste de l’équipage, je n’ai pas le moindre doute que les bénéfices pécuniaires de l’expédition étaient la dernière chose qui les inquiétait. Certaines considérations qui, dans le choix de nos haltes, auraient dû nous guider, nous paraître de la dernière importance, étaient traitées par nous comme indignes de toute discussion sérieuse, négligées et totalement laissées de côté sous les prétextes les plus futiles. Ces hommes qui avaient voyagé, pendant des milliers de lieues, à travers une solitude périlleuse, affronté des dangers horribles, supporté des privations écœurantes, dans le but ostensible de recueillir des fourrures, en étaient venus à se donner rarement la peine de conserver celles qu’ils avaient pu se procurer, à abandonner derrière eux sans un regret, des caches[1] entières de magnifiques castors, plutôt que de renoncer au plaisir de suivre quelque fleuve à l’aspect romantique, ou de pénétrer dans quelque caverne dangereuse d’accès et hérissée de rocs, pour y chercher des minéraux dont ils ignoraient l’usage, qu’ils jetaient comme encombrants à la première occasion. En tout cela, mon

  1. Le mot cache désigne les excavations où les trappeurs enfouissent les pelleteries qu’ils ont amassées.