Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/234

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XXVIII


Je me suis plu quelquefois à tenter de me figurer quel serait le sort d’un homme doué, doué pour son malheur, d’une intelligence de beaucoup supérieure à celle de sa race. Il aurait naturellement conscience de cette supériorité, et il ne pourrait, — s’il était constitué d’ailleurs comme les autres hommes, — s’empêcher de manifester cette conscience. Il se ferait ainsi d’innombrables ennemis. Et comme ses opinions ou ses spéculations différeraient profondément de celles de tous, il serait de toute évidence considéré comme un fou. Douloureux et horrible supplice ! L’enfer ne peut inventer de plus grande torture que celle d’être tenu pour infiniment faible, précisément parce qu’on est infiniment fort. De même il est clair assurément qu’un esprit généreux, éprouvant réellement les sentiments que les autres se bornent à professer, doit inévitablement rester incompris de tous, les motifs de ses actions leur étant inintelligibles. De même qu’un génie suprême passerait pour de la fatuité, de même un excès de sens chevaleresque ne manquerait pas de paraître le dernier degré de la bassesse, et ainsi de suite pour les autres vertus.

Ce sujet est assurément triste. Il est à peine possible