Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/277

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comme autant de gouvernements à la Trinculo, paraissent avoir oublié leurs débuts.


LXXX


Si quelque homme ambitieux veut révolutionner d’un coup le monde entier de la pensée humaine, de l’opinion et du sentiment humains, voici ce qui lui en donne le pouvoir. La route à une gloire impérissable est ouverte droite et sans encombre devant lui. Il n’a qu’à écrire et publier un très petit livre. Son titre sera simple, quelques mots sans prétention : « Mon cœur mis à nu. » Mais ce petit livre doit tenir toutes ses promesses.

N’est-il pas singulier qu’avec la soif folle de notoriété qui brûle tant d’hommes s’inquiétant comme d’un fêtu de ce que l’on pensera d’eux après leur mort, on n’en trouve pas un d’assez d’audace pour écrire ce petit livre ? L’écrire, dis-je ; il y a des milliers de gens qui, le livre une fois fait, se mettraient à rire si on leur disait qu’ils n’auraient osé le publier leur vie durant, et qui ne sauraient pas concevoir pourquoi ils se seraient opposés à ce qu’il parût après leur mort. Mais l’écrire, voilà la dure difficulté ! Aucun homme n’osera jamais l’écrire ; aucun homme ne saurait l’écrire, même s’il l’osait. Le papier se recroquevillerait et se consumerait, à chaque attouchement de sa plume de feu.