Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/59

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par le poignet, avait entr’ouvert les tombes de toute l’humanité, et de chacune sortait une faible phosphorescence produite par la putréfaction. En sorte que je pouvais sonder les retraites cachées et inspecter les corps emmaillotés, pris dans leur somme morose en compagnie du ver. Mais hélas ! Les éveillés étaient plus nombreux que les dormeurs. Sur toute la plaine régnait comme une faible agitation, comme une irréquiétude générale, et de la profondeur des fosses sans nombre montait le bruissement lugubre des suaires froissés. Même de ceux qui semblaient reposer tranquillement, j’en voyais un grand nombre qui avaient modifié la posture rigide et incommode dans laquelle ils avaient été mis en tombe. Et la voix me dit encore comme je regardais :

— N’est-ce pas une vue pitoyable ?

Mais avant que j’eusse pu trouver un mot de réponse, le fantôme avait cessé de tenir mon poignet, les lueurs phosphorescentes s’éteignirent et les tombes se fermèrent avec une violence soudaine, tandis que de leur sein sortait une clameur d’appels désespérés répétant :

— N’est-ce pas, ô Dieu, n’est-ce pas une vue très-pitoyable ?

Ces apparitions nocturnes étendirent leur influence terrifiante à mes heures de veille. Mes nerfs se détendirent complètement et je tombai en proie à une terreur immense. J’hésitais à aller à cheval, à marcher, à m’adonner à aucun exercice qui pût m’éloigner de chez moi. En fait je n’osais plus me hasarder hors de la présence immédiate de ceux qui me savaient sujet à mes attaques, craignant que si je tombais malade, je ne fusse enterré