Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/68

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mauvaises de l’irascibilité, vivant, avec le signe des morts, mort, avec les passions des vivants, une anomalie sur la face de la terre, très-calme et cependant sans souffle !

Oui, sans souffle ! Je suis sérieux quand je dis que mon souffle était parti. Je n’aurais pas été capable de faire bouger une plume, si ma vie avait été en jeu, ou même de souiller l’éclat d’un miroir. Dure destinée !

Cependant, il me vint quelque soulagement dans le premier paroxysme de ma douleur. Je trouvai, après essai, que la faculté d’articuler, dont je me croyais entièrement privé, n’ayant pu continuer ma conversation avec ma femme, n’était que partiellement empêchée. Je découvris que si, dans ma crise conjugale, j’avais abaissé ma voix à un diapason singulièrement guttural, j’aurais pu continuer à ma femme la communication de mes sentiments, ce ton de voix (le guttural) dépendant, comme il m’apparut, non du courant de la respiration, mais de certaines contractions spasmodiques des muscles du gosier.

Me jetant sur une chaise, je restai donc quelque temps absorbé en méditations. Mes pensées, certes, ne prenaient nullement un tour consolant. Mille fantaisies vagues et lacrimatoires s’installèrent dans mon âme. L’idée de me suicider vola même par mon cerveau. Mais, — et c’est là un trait de la perversité humaine, — on rejette communément les choses présentes et sous la main, pour les distantes et les incertaines. C’est ainsi que je frémis à l’idée de me tuer, tenant cet acte pour la plus énorme des atrocités. Mon chat tacheté, cependant, ronronnait