Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/404

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mon esprit partira, l’enfant vivra, — ton enfant, mon enfant à moi, Morella. Mais tes jours seront des jours pleins de chagrin, — de ce chagrin qui est la plus durable des impressions, comme le cyprès est le plus vivace des arbres ; car les heures de ton bonheur sont passées, et la joie ne se cueille pas deux fois dans une vie, comme les roses de Pæstum deux fois dans une année. Tu ne joueras plus avec le temps le jeu de l’homme de Téos ; le myrte et la vigne te seront choses inconnues, et partout sur la terre tu porteras avec toi ton suaire, comme le musulman de la Mecque.

— Morella ! m’écriai-je, Morella ! comment sais-tu cela ?

Mais elle retourna son visage sur l’oreiller ; un léger tremblement courut sur ses membres, elle mourut, et je n’entendis plus sa voix.

Cependant, comme elle l’avait prédit, son enfant, — auquel en mourant elle avait donné naissance, et qui ne respira qu’après que la mère eut cessé de respirer, — son enfant, une fille, vécut. Et elle grandit étrangement en taille et en intelligence, et devint la parfaite ressemblance de celle qui était partie, et je l’aimai d’un plus fervent amour que je ne me serais cru capable d’en éprouver pour aucune habitante de la terre.

Mais, avant qu’il fût longtemps, le ciel de cette pure affection s’assombrit, et la mélancolie, et l’horreur, et l’angoisse, y défilèrent en nuages. J’ai dit que l’enfant grandit étrangement en taille et en intelligence.