Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/155

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n’était pas que je craignisse de regarder des choses horribles, mais j’étais épouvanté de l’idée de ne rien voir. À la longue, avec une folle angoisse de cœur, j’ouvris vivement les yeux. Mon affreuse pensée se trouvait donc confirmée. La noirceur de l’éternelle nuit m’enveloppait. Je fis un effort pour respirer. Il me semblait que l’intensité des ténèbres m’oppressait et me suffoquait. L’atmosphère était intolérablement lourde. Je restai paisiblement couché, et je fis un effort pour exercer ma raison. Je me rappelai les procédés de l’inquisition, et, partant de là, je m’appliquai à en déduire ma position réelle. La sentence avait été prononcée, et il me semblait que, depuis lors, il s’était écoulé un long intervalle de temps. Cependant, je n’imaginai pas un seul instant que je fusse réellement mort. Une telle idée, en dépit de toutes les fictions littéraires, est tout à fait incompatible avec l’existence réelle ; — mais où étais-je, et dans quel état ? Les condamnés à mort, je le savais, mouraient ordinairement dans les autodafé. Une solennité de ce genre avait été célébrée le soir même du jour de mon jugement. Avais-je été réintégré dans mon cachot pour y attendre le prochain sacrifice qui ne devait avoir lieu que dans quelques mois ? Je vis tout d’abord que cela ne pouvait pas être. Le contingent des victimes avait été mis immédiatement en réquisition ; de plus, mon premier cachot, comme toutes les cellules des condamnés à Tolède, était pavé de pierres, et la lumière n’en était pas tout à fait exclue.

Tout à coup une idée terrible chassa le sang par torrents vers mon cœur, et, pendant quelques instants, je retombai de nouveau dans mon insensibilité. En revenant à moi, je me dressai d’un seul coup sur mes pieds, tremblant convulsivement dans chaque fibre. J’étendis follement mes bras au-dessus et autour de moi, dans tous les sens. Je ne sentais rien ; cependant, je tremblais de faire un pas, j’avais peur de me heurter contre les murs de ma tombe. La sueur jaillissait de tous mes