Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/250

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Ainsi, voici un cas, — convenez-en, — le massacre d’un millier de juifs ! Avec quelle prodigieuse dignité le monarque se promène sur ses quatre pattes ! Sa queue, comme vous voyez, est tenue en l’air par ses deux principales concubines, Elliné et Argélaïs ; et tout son extérieur serait excessivement prévenant, n’était la protubérance de ses yeux, qui lui sortiront certainement de la tête, et la couleur étrange de sa face, qui est devenue quelque chose d’innommable par suite de la quantité de vin qu’il a engloutie. Suivons-le à l’Hippodrome, où il se dirige, et écoutons le chant de triomphe qu’il commence à entonner lui-même.

Qui est roi, si ce n’est Épiphanes ?
Dites, — le savez-vous ?
Qui est roi, si ce n’est Épiphanes ?
Bravo ! — bravo !
Il n’y a pas d’autre roi qu’Épiphanes,
Non, — pas d’autre !
Ainsi jetez à bas les temples
Et éteignez le soleil !

« Bien et bravement chanté ! La populace le salue Prince des poètes, et Gloire de l’Orient, puis Délices de l’univers, enfin le plus étonnant des Caméléopards. Ils lui font bisser son chef-d’œuvre, et — entendez-vous ? — il le recommence. Quand il arrivera à l’Hippodrome, il recevra la couronne poétique, comme avant-goût de sa victoire aux prochains jeux Olympiques.

— Mais, bon Jupiter ! que se passe-t-il dans la foule derrière nous ?

— Derrière nous, avez-vous dit ? — Oh ! oh ! — je comprends. Mon ami, il est heureux que vous ayez parlé à temps. Mettons-nous en lieu sûr, et le plus vite possible. Ici ! — réfugions-nous sous l’arche de cet aqueduc, et je vous expliquerai l’origine de cette agitation. Cela a mal tourné, comme je l’avais pressenti. Le singulier aspect de ce caméléopard avec sa tête